Abel Chabal se tient debout, il est prêt : cela fait plus de 3 mois qu´il a rejoint les bribes de son unité, le 6èmeBataillon de Chasseurs Alpins, dans le maquis du Vercors. Son ancien chef, le chef de Bataillon de Reyniès avait tenu un discours clair, lors de la dissolution du bataillon, le 29 novembre 1942, le combat doit continuer.
Il est là, solidement installé sur le Belvédère de Valchevrière. Il n’a pas ménagé ses efforts, lui, comme ses camarades du 6èmeBCA pour incorporer le flux massif de civils. Difficile de former des hommes en un temps si court, mais l’espoir levé par le débarquement de Normandie est irrésistible.
Soldat de métier et originaire des Hautes-Alpes, il est rompu au combat en montagne. Est-il plus montagnard que soldat ou plus soldat que montagnard ? Impossible d’y répondre tant les deux aspects sont indissociables.
Les troupes allemandes s’approchent, surtout garder son calme, faire comme à l´exercice et montrer l´exemple, c´est son rôle de chef. Les quatre-vingt trois membres de sa section ont une confiance absolue en lui. Les combats commencent, et déjà sont déséquilibrés. Car en face des résistants, ce sont les « Gebirgsjäger », les soldats de montagne. Depuis 1939, ils se sont battus dans tous les massifs d´Europe et sont pourvus de mortiers.
L’ardeur des résistants et leur connaissance du terrain les favorisent, les assauts allemands s´enchainent mais échouent, au prix de pertes chez les français. Le Lieutenant peut souffler, la journée a été rude mais les allemands ont été contenus. Il sait que la journée suivante sera décisive.
Les dernières semaines ont montré l’espoir qui anime les 4 000 pionniers et combattants volontaires du Vercors. Yves Farge, Commissaire de la République nommé par le Général de Gaulle, était même venu proclamer la « République Libre du Vercors » le 3 juillet 1944 lors d’une prise d’armes.
Le lendemain matin, ce 23 juillet, l’assaut est plus violent et plus organisé, les résistants se battent pied à pied mais cèdent du terrain. Chabal organise le repli et les allemands continuent de progresser. L’heure de la fin va sonner. Chabal garde tout son sang-froid, il économise ses cartouches, sa pipe ne quitte pas sa bouche, il épaule, il tire. Mouche. Chabal ne s’arrête pas de tirer. L’étau se resserre encore, il envoie un message au Capitaine Goderville (l’écrivain Jean Prevost):
« Je suis presque complètement encerclé. Nous nous apprêtons à faire Sidi-Brahim. Vive la France ! ».
« Faire Sidi-Brahim »
en langage chasseur, signifie se battre jusqu’au dernier, jusqu’à la mort.
Soudain, une balle le frappe, il tombe. Il se redresse et tire encore. Une autre balle le touche. Alors, dans un dernier mouvement, il pense, avant de mourir, à jeter dans le vide son carnet qui contient tous les noms de ses Chasseurs.
Sauver ses soldats des mains de l’ennemi.
Il avait 34 ans.
Source :
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« Vercors, citadelle de liberté » Paul Dreyfus, ed. Arthaud, p. 207 et s., 1969
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https://www.vercors-resistance.fr/documents-et-analyses/#combatsbelvederevalchevriere, texte de Guy Giraud